Le phénomène révolutionne le voyage à vélo. Mais de quoi le bikepacking est-il le nom ? Un simple mode de portage qui s’affranchit des porte-bagages ? Une approche sportive et minimaliste de l’itinérance ? Une philosophie, une culture, un état d’esprit ?
Pour tenter de comprendre cette tendance en plein essor, nous sommes partis en quête des origines du bikepacking. Et surprise, le mot ne date pas d’hier ! Quant à la pratique, elle semble presque aussi ancienne que le vélo lui-même.
Bikepacking : un peu d’étymologie
Un mot-valise pour parler de bagagerie et de voyage, voilà qui ne manque pas d’ironie et d’à-propos ! En anglais, bikepacking combine les termes « bike/vélo » et « packing/empaqueter ». Une référence malicieuse à l’expression « backpacking » qui désigne le fait de barouder sac au dos en privilégiant des solutions de transport et d’hébergement bon marché.
En bon français, on qualifiera un « backpacker » de bourlingueur ou de routard. Mais la formule, dans un sens légèrement distinct, fait également référence à l’univers de la grande randonnée. Dans cette variante du terme, le « backpacker » devient le marcheur longue distance, le trekkeur, qui s’aventure sur les sentiers pendant plusieurs jours avec tout son matériel sur le dos.
Au-delà de la sémantique, le bikepacking est donc étroitement lié à l’aventure pédestre avec laquelle il partage une culture très proche. A la question « qu’est-ce que le bikepacking ? », on pourrait donc répondre laconiquement : « c’est du backpacking à vélo ! »
Les bikepackers seraient donc des cyclo-routards ou des cyclo-trekkeurs voire un peu des deux à la fois.
Une naissance dans les pages du National Geographic
Mais qui est à l’origine du concept ? Quand le mot a-t-il été employé pour la première fois ? S’il existe une réponse, il faut la chercher du côté des États-Unis. Outre-Atlantique, l’association Adventure Cycling œuvre depuis 45 ans pour le développement de l’itinérance à vélo. Elle a cartographié plus de 80 000 km d’itinéraires cyclables. Une institution en Amérique du Nord qui édite son propre magazine.
On a posé la question à Dan Meyer, rédacteur en chef adjoint. « A notre connaissance, le terme « bikepacking » a été inventé par Noel Grove, un journaliste de National Geographic. Il avait été chargé de travailler sur un périple à vélo entre l’Alaska et l’Argentine, baptisé Hemistour. Il collaborait sur cette histoire avec certains protagonistes de l’expédition. Ces derniers n’étaient autres que les futurs fondateurs de Bikecentennial qui deviendrait plus tard Adventure Cycling. L’article fut intitulé « Bikepacking Across Alaska and Canada ». Il a été publié dans National Geographic… en mai 1973. »
Dans les pages de l’illustre magazine, le terme bikepacking désigne alors une forme de cyclotourisme aventureux et engagé qui s’écarte des routes revêtues.
Les voyageurs évoluent avec de bonnes vielles sacoches latérales montées sur porte-bagages. Les sacoches de type bikepacking ne sont pas encore apparues ou plutôt réapparues…
Un éternel recommencement
Le bikepacking n’est donc pas une affaire récente. D’autant qu’avant même d’être nommée, l’idée d’explorer, en selle les coulisses du monde, a fait son chemin. A vrai dire, elle est sans doute aussi ancienne que le vélo lui-même. Dès la fin du XIXe siècle, les militaires mesurent l’efficacité de la bicyclette à l’écart des voies carrossables. Contrairement aux chevaux, elle ne requiert ni eau, ni nourriture, ni repos.
Dans leur sillage, les civils se risquent sur les chemins de traverse. Ils se désignent déjà sous l’appellation cyclotouristes. Mais les porte-bagages restent à inventer. Alors on mise sur des sacoches de cadre. On transporte son barda sur le guidon.
Des techniques que le bikepacking moderne remettra au goût du jour et perfectionnera plus d’un siècle plus tard dans un opportun retour aux sources !
Toujours plus léger, toujours plus loin
Et d’autres ont fait du bikepacking sans le nommer ainsi. Les cyclomuletiers qui s’aventurent sur les chemins de montagne longtemps avant l’apparition du VTT sont de ceux-là. Et quand, dans les années 1980, le mountain bike vient bouleverser le marché du cycle naissent de nouvelles façons de partir en itinérance sur les sentiers.
Avec le mouvement VTT BUL (Bivouac Ultra Léger), l’art d’optimiser son matériel franchit une nouvelle dimension. On troque les traditionnelles sacoches latérales pour des sacs à dos qu’on allège à l’extrême, on accroche au cintre son sac de couchage ou son matelas. Objectif : gagner en mobilité pour pouvoir voyager sur les terrains les plus techniques. Bref, repousser encore et toujours les limites de l’aventure à vélo. L’allégement des pièces d’équipement, l’apparition de nouvelles techniques de bivouac, permettent de concilier de mieux en mieux autonomie et minimalisme.
Ce changement de rapport au matériel, cette quête de l’épure prépare le terrain pour le bikepacking d’aujourd’hui qui n’existe pas encore.
Photo shooting Bikepacking USA
L’avènement de l’ultra endurance
En France, les requêtes sur Google comprenant le mot « bikepacking » sont quasiment inexistantes avant 2015. Elles ne cessent de prendre de l’ampleur par la suite avec un pic en 2020. Aux Etats-Unis, le mot commence à devenir populaire sur le moteur de recherche dès 2008. Est-ce un hasard, cette année-là, est donné le premier grand départ d’une course folle : le Tour Divide. Un règlement minimaliste, aucun droit d’inscription, pas de récompense, juste le chrono et la piste.
Et quelle piste ! Les 4500 km de la Great Divide Mountain Bike Route, le plus long itinéraire cyclable tout terrain du monde qui serpente à travers les Rocheuses américaines entre le Canada et la frontière mexicaine. Cette épreuve d’ultra endurance va devenir culte et essaimer à l’international. Dans la lignée du Tour Divide naissent d’autres monuments de la longue distance : la Transcontinental Race (Europe), la French Divide (France) l’Inca Divide (Cordillère des Andes), la Silk Road Mountain Race (Kirghizistan)…
A travers ces épreuves dingues, l’aura du bikepacking se développe, les techniques, le matériel s’affinent. Une fois encore, on cherche à s’alléger pour rouler plus vite et plus longtemps. On veut pouvoir se risquer sur tous les terrains tout en restant autonome.
Le bikepacking devient une solution de portage
Dans cette optique, des marques, souvent créées par des pratiquants eux-mêmes, mettent au point une bagagerie spécifique qui s’affranchit des porte-bagages. Les sacoches se sanglent sur le cadre, sur le guidon, à la selle.
Après être venue à bout du Tour Divide, Tori Fahey fonde, Apidura, en Angleterre. Nous sommes en 2013. En 2016, l’Allemand Ortlieb, leader sur le marché des sacoches traditionnelles, s’empare à son tour du phénomène. Le bikepacking n’est plus une affaire de couture artisanale de fond de garage. Le sens du mot a évolué.
Pour beaucoup, il désigne, désormais, cette façon innovante de porter ses bagages au plus près de l’ossature de son vélo. Dans le même temps, un nouveau type de vélos a fait son apparition : le gravel. Il va accompagner la croissance du bikepacking. Et réciproquement. A la croisée des chemins, entre VTT et vélo de route, cet hybride répond parfaitement aux besoins du bikepacker qui veut pouvoir s’aventurer sur toutes les surfaces en demeurant efficace.
Bientôt des stages de bikepacking ?
Le bikepacking est-il toujours une niche ? Dans l’univers fourmillant du vélo, il demeure une composante mineure, mais il n’est plus une pratique confidentielle.
Le terme figure dans les catalogues des fabricants de vélos, de nombreuses marques conçoivent du matériel dédié (Apidura, Restrap, Ortlieb, Vaude…), les épreuves se comptent par dizaines et affichent parfois complet en quelques heures (Born to ride et autres événements Chilkoot, French Divide, Baroudeuse), des médias s’intéressent ou se sont spécialisés dans le traitement de ce phénomène, des applications fournissent des traces spécifiques… Et même les structures institutionnelles s’y mettent. Le tourisme à vélo a plus que jamais le vent en poupe.
Surfant sur la tendance, le Conseil départemental de Vaucluse a récemment affiché son ambition de devenir la figure de proue du gravel et du bikepacking en France. Au programme des stages d’initiation et des séjours itinérants pour découvrir ce formidable territoire de vélo. Pas de quoi emballer les puristes, sans doute, qui jugeront la démarche peu compatible avec l’esprit d’indépendance de la pratique.
Mais n’est-ce pas là, une preuve indéniable de la démocratisation du bikepacking dont on peut difficilement ne pas se réjouir ?