Claude Marthaler a déjà parcouru le monde à vélo : seul, avec sa compagne ou des amis, il en ramené de magnifiques récits de voyage. Aujourd’hui, pour la première fois, il se lance dans un nouveau genre littéraire en constituant un recueil de portraits de femmes qui ont éminemment marqué l’univers du vélo.
Lors du Festival Quais du Départ, qui a eu lieu fin novembre à Lyon, il nous a fait découvrir la genèse de son livre et nous a présenté six portraits qui le jalonnent.
A tire-d’Elles – Femmes, vélo et liberté
Claude Marthaler nous a marqué par son humilité et sa profonde estime de toutes ces femmes dont il raconte l’histoire. Nous vous invitons à lire A tire-d’Elles – Femmes, vélo et liberté (éditions Slatkine, 2015), qui donnera à beaucoup l’envie de se lancer !
Un livre sur les femmes et le vélo, pourquoi ?
C’est une thématique qui trottait dans la tête de Claude Marthaler depuis plusieurs années ; il s’est toujours intéressé à l’Histoire de la bicyclette, comme « véhicule culturel et artistique ».
A travers ses voyages, il a pu toucher du doigt le fait que dans de nombreux pays, il est interdit aux femmes de pédaler. Le contrôle de leur corps est un enjeu majeur de domination masculine, et le vélo peut se révéler pour elles un moyen d’indépendance extraordinaire. Son récit aborde donc toutes les facettes de l’émancipation féminine à travers le prisme du vélo.
Femme à vélo en Irak, décembre 2016
Le vélo et les femmes, une histoire houleuse
Entre les raisons officielles, comme la sécurité (invoquées notamment pour interdire aux femmes d’enfourcher le grand-bi) ou la santé (le vélo est accusé de provoquer leur stérilité), et des raisons plus inavouables qui, tel l’écartement des jambes d’une femme, symbolise l’indécence pour certains, les médecins et notables de l’époque déconseillent formellement son usage par le « sexe faible » ; le vélo ne se conjugue encore guère au féminin !
Lorsque le « safety bike » fait son entrée en scène avec ses deux roues de diamètre identique, les femmes s’équipent alors pour la première fois avec des pantalons bouffants à la mode turque, ce qui leur permettra d’enfourcher la bicyclette sans trop s’exposer aux regards. C’est véritablement le début de l’aventure entre les femmes et le vélo !
Deux femmes à vélo dans les années 1900
Le vélo comme outil d’émancipation féminine
Claude Marthaler nous invite à découvrir 6 femmes parmi les 32 portraits qui constituent son livre. On y découvre entre autres que le vélo peut aider à la résilience et servir d’outil de combat pour le développement.
Parmi ces portraits, on découvre des femmes pionnières et courageuses, qui ont dû tout donner pour aller au bout de leurs rêves, comme Alfonsina Strada. Au début des années 1900, elle ment à sa famille : en prétendant se rendre à la messe, elle revient triomphante d’une course à vélo où elle a battu les garçons, avec un cochon sous le bras ! Elle participera et bouclera le Giro en 1924, terminant même sa plus longue étape de 415 km… une prouesse pour l’époque ! Alfonsina Strada demeure à ce jour la seule femme à avoir participé au Tour d’Italie qui fête en 2017 ses 100 ans d’existence !
De son côté, Annie Londonderry est la première à réaliser un tour du monde à vélo au féminin, tout juste 10 ans après son homologue masculin en grand-bi, Thomas Stevens. Elle a parcouru 14587 km, un exploit incroyable au vu des conditions de l’époque et de son vélo (monovitesse et sans frein).
Emily Chappell, quant à elle, a marqué Claude Marthaler par la qualité littéraire de son blog et sa pugnacité : coursière à vélo londonienne émérite, elle est connue pour son épopée en Fat Bike en Alaska et pour son exceptionnelle victoire lors de la Transcontinentale 2016 dans la catégorie féminine.
Transcontinentale catégorie féminine – Crédit photo : Emily Chappell
Le vélo a permis à certaines de développer une véritable résilience et d’aller de l’avant malgré une histoire personnelle douloureuse. Shannon Galpin est l’une d’entre elles, et peut-être la femme la plus emblématique du livre. Elle a décidé de se battre pour revendiquer la liberté des femmes là où précisément elle n’existe pas : en Afghanistan. Le vélo est devenu pour elle un véritable instrument de justice sociale.
« A vélo, souligne-t-elle, l’accueil est extraordinaire, je ne suis « ni homme ni femme », une position inédite qui transcende le côté binaire du genre. Là-bas, Shannon Galpin a constitué une équipe cycliste féminine, qu’elle a d’ailleurs réussi à faire venir en Europe et aux Etats-Unis pour participer à des courses.
Claude Marthaler s’intéresse aux pionniers et pionnières, aux personnages insolites, à ceux qui font l’Histoire sans s’en rendre compte, et surtout avec une profonde humilité. Ces femmes sont finalement devenu des modèles sans le vouloir au départ : « J’ai beaucoup de respect pour les pionniers-ères ; ce sont des gens qui par leur courage exceptionnel (à une époque qui en requerrait plus) ont ouvert une brèche pour tous-tes les autres. »
Ce livre a permis de tirer un fil d’Ariane entre ces nombreuses femmes et permettra peut-être à certaines de se rencontrer. D’ailleurs, un documentaire tiré de son livre, qui mettra en lumière leur combat, celui de toutes les femmes, est en gestation… On aime l’idée de Claude Marthaler que « le vélo permet des surprises, et peut inverser le cours des choses ».
Nous vous invitons à découvrir au plus vite ce magnifique ouvrage !
Légende photo de couverture : Claude Marthaler en compagnie de l’écrivaine-voyageuse Dervla Murphy qui pédala en 1963 de son Irlande natale jusqu’à New-Delhi.
A tire-d’Elles – Femmes, vélo et liberté (éditions Slatkine 2016)