« Le vélo, c’est pas pour les filles ! » nous souffle avec malice Claude Marthaler en empruntant la réplique au film saoudien Wadjda. Il est vrai que l’histoire des femmes à vélo a été tourmentée, et l’est encore dans certains coins du globe ; le vélo pour les femmes est encore loin d’être une évidence partout… Et qui mieux que Claude Marthaler, Cyclonaute, auteur et conférencier, pourrait nous en parler ?
Ayant parcouru la planète à vélo pendant 16 ans, dont un tour du monde à vélo pendant 7 ans (122 000 km, 60 pays), il a rencontré de nombreuses femmes, qui ont pu partager avec lui leur vision du vélo. Nous l’avons donc invité avec plaisir sur notre blog, en ce 8 mars, Journée internationale du droit des femmes, pour nous parler du vélo au féminin.
Une femme à vélo… ou une vision impudique
« Une histoire de sexe que cette selle de vélo ! L’idée même d’imaginer une simple paire de jambes de femme écartées et en mouvement, affola longtemps le corps médical masculin. La pratique du vélo rendrait la femme nymphomane, tuerait sa féminité, dérèglerait sa menstruation et pire encore ! Dans la France de l’entre-deux-guerres qui se dépeuplait, la rumeur courait ainsi que la bicyclette porterait atteinte à l’appareil reproducteur de la femme et que celle-ci serait tentée de déserter le lit conjugal pour s’en aller jouir – à vélo ! Face à la menace allemande, la France viendrait à manquer de soldats ! Le vélo devint carrément un enjeu majeur de défense nationale, puisqu’il représentait, tout simplement, une dangereuse « machine à stériliser » ! Ainsi donc, en Europe, dès la fin du XIXème siècle, la pratique du vélo par les femmes fut considérée dangereusement antiféminine, antichrétienne et impudique. Aujourd’hui encore, au nom de préceptes machistes ou religieux, certains pays légifèrent ou interdisent la pratique de la bicyclette aux femmes.
Le vélo comme outil de liberté pour les femmes
Savoir que certaines femmes sont privées de monter en selle aujourd’hui encore est insupportable. A l’inverse, dans le monde entier, les associations en sa faveur ont créé des cours pour apprendre aux femmes, notamment aux migrantes, à faire du vélo.
En effet, de mémoire d’homme ou de femme, la bicyclette n’a jamais fait de mal, ni tué personne, bien au contraire. L’increvable petite reine le prouve depuis 200 ans : en sa compagnie, on ne peut que bien tourner. Car le vélo est révolution et c’est peut-être bien là sa vraie nature – androgyne, démocratique et libératoire – qui fait peur. Il transforme la ville et la vie, d’un homme, d’une femme, des enfants, nous rend indépendants. Le vélo est le véritable chaînon manquant de notre évolution vers plus de liberté, son usage, une marque intangible de responsabilité face à notre santé, celle des autres et de l’environnement.
« Peut-être que j’ai réussi là (au moins par l’écriture), à réunir enfin ma passion pour les femmes et celle pour le vélo sans devoir faire le grand écart ! (rires). Plus sérieusement, le vélo comme objet du quotidien, culturel, artistique, métaphorique, et instrument de travail, me passionne », nous confie Claude Marthaler. Ce livre est un kaléidoscope de destins de femmes, pour qui le vélo peut être une passion, un métier, un déclencheur ou un objet de liberté.
Voici deux portraits de femmes par Claude Marthaler :
Agartha Frimpong
Cette Ghanéenne émigrée donne des cours de vélos à ses compatriotes dans un garage souterrain d’Amsterdam. « On doit faire de chacun un être spécial » rappelle-t-elle. Le vélo est éducatif : il permet d’acquérir en peu de temps et de paroles, les notions vitales d’équilibre, de rythme intérieur, de confiance en soi, de persévérance et de collaboration. Pour la première fois de leur vie, ces femmes se sentent en confiance pour aller explorer librement un environnement dont elles ne partagent pas encore la langue. Le vélo se révèle alors comme un formidable outil d’intégration.
Denise Belzil
De l’autre côté de l’Atlantique est née une « bécanicienne » aux doigts d’or de 58 printemps. 75000 bicyclettes auscultées plus tard, son diagnostic de « cyclologue » est infaillible. Cette grande dame québécoise s’est forgée une place respectée dans ce bastion masculin qui exige pour toute femme d’être meilleure afin d’être reconnue. Auteur de deux livres sur le sujet et à la tête d’une unique école de mécanique de bicyclette, cette déboulonneuse de préjugés affirme que pour ressusciter un vélo, qu’importe que l’on soit un homme ou une femme, il faut quelques vis et trois qualités : patience, méticulosité et curiosité. »
A lire, de Claude Marthaler :
A tire-d’Elles – Femmes, vélo et liberté (éditions Slatkine 2016)