Nous avons invité Alain Puiseux, créateur et rédacteur en chef du magazine 200 magazine, à venir nous parler de l’un de ses types de vélo fétiche, le gravel bike. Il en parle avec passion et nous donne une belle envie d’aller rouler sur les routes et les sentiers buissonniers…
Faire du gravel
« Cunéo est une ville italienne un peu martiale, avec son immense place d’armes rectangulaire. Elle est plantée au pied des Alpes, comme un bastion, au sud de Turin. Quittez la place, roulez vers le sud-est en suivant la vallée. À Roccavione, prenez plein sud. La SP 259 monte doucement, puis de plus en plus raide. Là-haut Panice Soprana, la petite station de sports d’hiver, dort encore. Quelques lacets plus loin, les ruines d’une caserne. Et puis le bout de la route, qui devient un sentier muletier. La France est là-bas, de l’autre côté du brouillard, et du col de Tende.
Il faut l’avouer, on a un instant de trac avant de risquer ses pneus de route sur les cailloux. La frontière se cache un peu plus loin, entre deux rochers. On dérape. On glisse un peu. On s’étonne de rester sur ses roues. Dix lacets plus loin, on s’étonne de s’être étonné.
Voilà, c’est fait. Vous faites « du gravel ». La France est là, en bas, dans la vallée. On retrouve le goudron, presque déçu… C’était en octobre 2015, et le « Cunéo Monaco » de la compagnie Chilkoot fut sans doute la première randonnée du genre organisée depuis la France.
C’est gravel, docteur ? Non. C’est une bonne nouvelle pour le vélo.
Le phénomène gravel : la réappropriation
Le gravel est sans doute le phénomène le plus enfantin et le plus prometteur qu’ait engendré le vélo ces dernières années.
Son nom d’abord – gravier, en français, mais c’est bien des États-Unis que débarque ce retour récent aux chemins. Son esprit ensuite. Rouler « gravel » ? Cela revient juste à ne pas descendre de vélo quand le goudron disparaît, mais à continuer tant que le chemin est roulant. Les « cyclo-muletiers » pratiquaient cela en France dans les années 30, par amour du vélo et de l’alpinisme.
Les paysans depuis l’invention du vélo, les enfants de province jusque dans les années 60 ont fait du gravel sans le savoir, un pot à lait accroché sur le guidon pour aller aux mûres. Le gravel est une blague. Mais une belle blague.
Il n’est pas une discipline. Il est peine un filon pour les fabricants de vélos, qui tous proposent un gravel bike dans leur gamme. Il est bien plus que cela.
Le gravel nous rappelle simplement que toutes les routes n’ont pas toujours été goudronnées, et qu’il existe en France, comme dans la plupart des pays, un immense réseau de chemins roulants, de pistes, de voies de traverse accessibles à n’importe quel cycliste un peu équipé. Et qu’il suffit de les emprunter pour découvrir un nouveau pays — le sien, comme l’a fait Sylvain Tesson dans Les Chemins noirs (Gallimard).
Le gravel est une redécouverte, une réappropriation du territoire, comme le bivouac est une redécouverte du camping. Pas de chrono, pas de compétition, un matériel simple ou mieux, robuste. Un vieux vélo peut faire l’affaire. La distance ? On s’en fiche. La moyenne ? Aussi. Le poids du vélo ? Tout autant.
Le gravel est le retour à l’aventure, de la banlieue parisienne aux causses des Cévennes, des pistes de montagne au bord du canal. Le VTT est plus sportif, plus spectaculaire, technologiquement surarmé, volontiers tourné vers la performance ou le spectaculaire. Le gravel est une exploration lente, un retour à la promenade, aux traversées des paysages, un moyen aussi de fuir des routes devenues infernales pour les cyclistes, faute d’une politique de partage. Le gravel est un retour à l’aventure, et elle commence à peine.
Quel vélo pour le gravel ?
Un vélo dit « gravel » est un vélo capable d’emprunter un chemin roulant. C’est dire si le profil est flou, aussi flou que celui d’une chaussure de randonnée. Quelques catégories…
- Dans les catalogues des constructeurs, les gravel bikes sont des vélos de route « durcis », comme on dit dans l’informatique militaire : ils ont des freins à disque, une fourche plus large, des passages de roues acceptant des pneus de 35 à 50 mm, et éventuellement un cintre type « Salsa » plus ouvert qu’un cintre de route traditionnel. Les roues sont en 700, et de plus en plus souvent en 650. Ils restent très proches des purs vélos de route, sont à peine plus lourds et souvent plus confortables.
- Les monstercross, hybrides de vélos de route et de VTT, sont la version aventure, ou expédition, des gravel. Ils sont plus lourds, chaussent des roues de VTT de 27,5 (soit du 650) ou 29 pouces, leur cadre aussi est plus proche de celui des VTT. Freins à disques, évidemment. Et partout ou c’est possible, des points d’ancrage pour porte-bagages, porte-bidons ou accessoires.
Enfin on l’oublie, mais un vélo de route ordinaire est très capable d’affronter une piste roulante — de préférence sèche, peu sableuse ou caillouteuse. Comme n’importe quel vélo d’ailleurs. Si vous avez un vélo dans votre garage, vous avez un gravel. »