Patricia Berthelier compte parmi les adeptes du bikepacking de la première heure. Pour cette prof d’anglais, figure de l’ultra distance sur deux roues, ce mode de portage offre la liberté d’aller vite et de rouler longtemps. Une pratique du vélo à son image, sportive, épurée, aventureuse. Portrait de cette amoureuse des chemins de traverse qui a 62 ans n’en a pas fini de risquer ses roues sur les épreuves les plus monumentales de la planète.
Le vélo comme dépassement de soi
On ne demande pas son âge à une grande dame. Elle le revendique. « J’ai 62 ans », annonce Patricia Berthelier. « Mais je n’ai vraiment commencé le vélo qu’autour de 40 ans. L’histoire classique d’une femme qui se marie et qui élève des enfants », relève-t-elle avec un brin d’ironie. Pour cette dévoreuse de kilomètres qui s’ignore encore, monter en selle fait alors figure de véritable défi. « J’ai beaucoup chuté, des erreurs d’apprentissage », se souvient-elle. En rejoignant un club de cyclotouristes, elle met réellement le pied à l’étrier. Les plus chevronnés qui s’entichent des cyclosportives l’entraînent dans leur sillage.
Après un an de pratique, elle s’aligne sur sa première épreuve : l’Etape du Tour. La découverte d’une certaine vision du vélo qui se nourrit de l’engagement physique, de l’accomplissement dans l’effort, du dépassement de soi. Un coup de foudre tardif qui se transforme en idylle passionnée dès lors qu’il s’agit d’enchaîner les bornes. « J’ai rapidement constaté que j’avais une attirance naturelle pour le long. J’étais à l’aise au-delà de 200 km. J’adorais passer des journées entières sur le vélo. Ça a toujours été mon truc ».
Des cyclosportives au vélo gravel et bikepacking
A l’époque, le Graal de la longue distance se nomme Paris-Brest-Paris, une épopée mythique de 1200 km enracinée dans l’histoire du cyclotourisme. Officiellement pas une course, mais une randonnée. Pour Patricia, un défi qu’elle envisage sous l’angle sportif… avec un œil sur le chrono. « Je l’ai fait en mode rapide en visant le délai inférieur », précise t-elle. Dans son élan, elle écume les quelques épreuves autour desquelles gravite le microcosme de l’ultra de l’époque. Mieux, elle y laisse son empreinte en triomphant régulièrement chez les féminines. « J’ai remporté le Raid Provence Extrême, puis le Raid Extrême Vosgien (REV). Je me suis aussi lancée sur la Race across the Alps (RATA), mais j’ai dû abandonner pour cause d’hypothermie ».
Nous sommes à la fin des années 2000. Et la route soudain lui fait peur. Dans son entourage, certains payent de leur vie leur goût de l’asphalte. Elle est lasse de cette prise de risque qu’impose le goudron. « Je ne supportais plus la circulation et les dangers qu’impliquaient le fait de rouler la nuit. » Mais son amour pour le vélo est intact, alors elle chausse des pneus larges et cramponnés et prend la clé des champs.
Elle enfourche un VTT pendant plusieurs années, puis après une lourde chute qui lui laisse deux broches dans le poignet, elle s’essaye au gravel bike qui balbutie encore sous nos latitudes. « Je me suis dit c’est le compromis idéal, tentons pour voir. Et l’expérience a été géniale », s’enthousiasme-t-elle encore.
Le bikepacking : une inspiration venue d’Amérique
En parallèle, Patricia, qui exerce le métier de prof d’anglais, a pris l’habitude de parcourir la blogosphère américaine qui traite du vélo d’aventure. Elle y a repéré un phénomène en pleine émergence : le bikepacking. L’une des pionnières de la pratique répond au nom de Jill Homer. Cette journaliste qui vit alors en Alaska documente sur son site internet ses longues échappées en fatbike dans le Grand Nord glacé. « J’ai tout de suite été complètement passionnée, ça me paraissait totalement surréaliste de pouvoir progresser ainsi », se remémore Patricia. En 2011, la chroniqueuse outdoor d’outre-Atlantique publie un livre intitulé « Be brave, be strong » où elle narre ses aventures sur le Tour Divide, une course de près de 4500 km à travers les Rocheuses, qui fait aujourd’hui figure de mythe originel dans l’univers du bikepacking.
« Je savais qu’un jour je ferai un truc comme ça. Mais en Europe, il n’existait presque rien à part quelques épreuves en Grande-Bretagne. » Alors quand Samuel Becuwe et son équipe importent le concept de Divide dans l’Hexagone et donnent naissance à la French Divide, elle est la première à vouloir tenter l’aventure. Une blessure la prive de la première édition en 2015. Elle ne manquera pas la seconde.
« En mode bikepacking, je conserve la possibilité d’aller vite »
Naturellement, Patricia a adopté la méthode de portage bikepacking parce que le concept correspond à sa façon d’envisager le vélo : efficace, minimaliste, aventureux. Jamais, elle n’a pu se faire à l’idée de pédaler bardée de lourdes sacoches latérales. Rouler chargée s’impose à elle comme un oxymore, comme une contradiction à sa conception de la liberté sur deux roues. « En mode bikepacking, je conserve la possibilité d’aller vite. Ça reste du vélo sportif, comme je l’aime ». Aller vite, rouler longtemps, la quête éternelle des forçats de l’ultra. Un idéal ultime auquel on ne peut prétendre sans avoir triomphé d’une première épreuve : la course à la légèreté.
« C’est le paramètre incontournable. Quand tu es à VTT dans une côte très pentue, le poids est déterminant. C’est sur levier qu’il faut agir si tu veux rester ultramobile. Avec l’expérience, tu prends conscience que tu n’as pas besoin de grand-chose. En fait, tu ne dois avoir qu’un truc en tête, avancer, avancer », détaille Patricia. Sur le terrain, cette démarche se traduit par un équipement réduit à 20 kg sur la French Divide, vélo compris, et à 17 kg seulement sur la A-Cross the 5, une « épreuve light », disputée sur les chemins du Benelux, de l’Allemagne et du nord de la France.
Mais derrière les chiffres, se cache une vraie philosophie de la frugalité indissociable de l’esprit bikepacking. « L’art d’aller à l’épure, c’est ainsi que je résumerais ma conception de la pratique. Tu épures tes bagages, ton vélo, ta façon de pédaler, tes besoins et finalement ta façon d’être. » Un engagement à contre-courant de bien des réalités actuelles. « Le bikepacking est une grande famille dans laquelle tu retrouves beaucoup de gens qui ont faim d’autre chose que ce que la société d’aujourd’hui nous propose. C’est une forme de contestation sans violence. Oui, il y a en quelque sorte une dimension politique et sociale derrière tout cela », témoigne Patricia.
La légèreté ouvre la porte à une liberté nouvelle à vélo
Une forme de retour à l’essentiel, en aucun cas synonyme de privation pour cette adepte de la bourlingue longue distance. « En fait, c’est un plaisir d’une intensité dingue. Tu découvres autre chose. Tu sors des idées reçues qui assurent que le confort, c’est le bonheur. Tu te rends compte que tu échappes à presque toutes les contraintes, à toutes les dépendances. Pour moi, c’est la définition de la liberté. »
La liberté de filer à toute vitesse, la liberté aussi et surtout d’aller partout ou presque. Car la légèreté ouvre la porte de mondes nouveaux, élargit le terrain de jeu. « J’ai en tête le récit d’un couple publié sur bikepacking.com qui a parcouru les Andes, au Pérou. Ces deux voyageurs ont pu atteindre des sommets réservés à des montagnard aguerris. Avec un VTT léger, tu t’autorises le poussage et même le portage dans les sections difficiles. Parfois, avec 5 kg supplémentaires, tu ne passes plus », explique Patricia.
Les applications du bikepacking dépassent donc le cadre de la compétition et de la recherche de performance et s’avèrent précieuses également en itinérance version aventure et exploration.
« La sacoche de bikepacking incontournable, c’est celle de cadre »
A ceux qui souhaiteraient s’initier à la pratique, Patricia qui embarque notamment une sacoche de selle Ortlieb, sur son Specialized Diverge, prodigue quelques conseils. « La sacoche incontournable, c’est celle de cadre. C’est celle qui va moins changer l’équilibre du vélo, moins bouleverser le pilotage. Et finalement, on peut y glisser pas mal de chose et surtout du matériel lourd car on est sur le centre de gravité du vélo.
Pour les sacoches de tige de selle et de cintre, il vaut mieux ne pas partir sur du trop gros format. On pourra y glisser des objets qui sont encombrants mais qui restent légers comme son sac de couchage par exemple. Rien n’oblige à acheter toute la panoplie du bikepacker d’un coup. On peut commencer par une sacoche, puis deux, puis trois. Je recommande surtout de privilégier la multiplicité des rangements en utilisant des petites sacoches, à placer sur le tube horizontal par exemple. Cela permet de conserver un accès facile à son téléphone ou à la nourriture que l’on consomme en route. Il existe aussi des porte-bidons à usage multiple qui peuvent se fixer sur la fourche ou sur le guidon et qui sont très pratiques. Ayez en tête qu’il n’y a pas de de solution universelle. A chacun d’effectuer des essais et de personnaliser sa configuration en fonction de son ressenti et de ses habitudes. »
Ouvrir de parcours gravel
Se tester en conditions réelles pour apprendre à habiter sa monture. Car c’est bien de cela dont il s’agit. Investir sa machine comme un foyer, y être à l’aise pour y pédaler, mais aussi pour manger, pour dormir en sa compagnie. En faire une partenaire intime, 24/24h. Ce sont des années d’expérience qui ont permis à Patricia de franchir toutes ces étapes et d’atteindre le niveau de maîtrise de la longue distance qu’elle possède aujourd’hui. Et elle n’a pas prévu de s’arrêter en si bon chemin. A la fin de l’année scolaire, elle prendra sa retraite de prof d’anglais. L’occasion de dégager plus de temps encore pour se consacrer à sa carrière d’ultra cycliste. Dans son viseur, la Navad 1000 en juin et la Bohemia Divide, en septembre. Mais si elle affectionne la casquette de compétitrice, elle envisage également d’enfiler celle de défricheuse.
Elle repère actuellement, sur le pas de sa porte, un parcours typé gravel de 500 km qui sillonnera notamment les monts du Beaujolais, de la Madeleine et du Forez. Le nom de cette randonnée sportive permanente : les 7 Mineurs. Un clin d’œil à l’épopée alpine des 7 Majeurs, initiée par le team Cyclosportissimo dont elle fait partie.