Nombreux sont les éléments qui montrent qu’un cap a été franchi dans la construction d’un système vélo digne de ce nom dans l’Hexagone depuis le 11 mai. Tour d’horizon.
« Un déclic, un alignement des planètes historique… » Les promoteurs de la solution vélo semblent unanimes. La crise du Covid-19 aura eu l’effet d’un puissant coup d’accélérateur sur la mise en œuvre d’un écosystème favorable à la bicyclette. La situation inédite — et dramatique par ailleurs — a contribué à fédérer, à tous les niveaux, les acteurs du vélo. Dans ce contexte sanitaire exceptionnel, des synergies ont émergé entre les associations, les professionnels, les collectivités locales et le l’Etat pour réorganiser l’espace public en faveur des mobilités actives et aménager, en urgence, un environnement qui invite à monter en selle sereinement. « En quelques mois, on va avoir gagné plusieurs années de politique cyclable », se réjouissait Elisabeth Borne, au lendemain du déconfinement. Deux mois plus tard, malgré quelques couacs, nombreux sont les indicateurs qui semblent donner raison à la ministre de la Transition écologique et solidaire.
La France distinguée à l’échelle européenne
Symboliquement, commençons par cette excellente note décernée à la France, fin juin, par la Fédération européenne des cyclistes (ECF) pour les mesures prises au profit des cyclistes au sortir du confinement. Un cinq sur cinq, l’unique du classement, qui vient confirmer sans doute qu’un virage culturel est en train de s’opérer et que la France mérite sa place parmi les nations du vélo.
Le nombre de cyclistes en plein boom
Mais c’est probablement la hausse spectaculaire du nombre d’usagers qui témoigne le mieux de ce changement de mentalité. Instrument de distanciation sociale par essence, le vélo a été adopté en masse dès le 11 mai par un public désireux de se maintenir à l’écart de la promiscuité des transports en commun et refusant le recours à la voiture particulière. Un engouement très vite traduit en chiffres par l’association Vélo & Territoires. En compilant les relevés de 182 radars de comptage répartis dans toute la France, l’organisation a pu mesurer une augmentation de la fréquentation cycliste de 11 % au terme de la première semaine de déconfinement par rapport à la même période en 2019. Deux semaines plus tard, la hausse atteignait 29 % et confirmait l’ampleur du phénomène. Un essor particulièrement marqué dans les grandes agglomérations. A Paris, selon une enquête de France Inter, le trafic vélo aurait bondi de 51 % en mai avant de littéralement s’envoler en juin de 119 %. Résultat, sur certains boulevards, Voltaire ou Sébastopol par exemple, le débit cycliste dépasserait celui des voitures aux heures de pointe.
Reste à savoir si la tendance survivra aux circonstances. Combien de ces nouveaux cyclistes inscriront leur démarche dans la durée ? L’association Vélo & Territoires par le biais de son bulletin bimensuel de suivi de la fréquentation cyclable assure une veille sur le sujet.
Source : Vélo & territoires
Le marché du cycle s’envole
Ce boom du vélo post confinement s’est naturellement traduit par une hausse des ventes sans précédent. Après deux mois d’activité considérablement ralentie, les magasins spécialisés ont dû faire face à une véritable ruée. Selon l’Union Sport et Cycle, la première organisation professionnelle de la filière sport et loisirs, le chiffre d’affaires du marché du cycle aurait plus que doublé(+117%) entre le 11 mai et le 7 juin dernier. De quoi combler en partie les pertes accumulées pendant le confinement, mais également créer des problèmes de stock sur certains modèles.
Succès retentissant pour le Coup de pouce vélo
Une effervescence en boutique liée également à la mise en œuvre du Coup de pouce réparation de 50 €. En un mois, plus de 200 000 Françaises et Français ont poussé la porte d’un des 3000 magasins partenaires pour remettre en état leur monture. Un succès retentissant pour cette opération dont l’ampleur et le déploiement à la hâte, a inévitablement provoqué quelques dysfonctionnements. Certains réparateurs submergés par cette affluence soudaine ont préféré se retirer du dispositif pour ne pas priver d’atelier leurs clients fidèles. D’autres ont regretté d’avoir à prendre en charge l’avance des frais.
Mais le résultat général n’en reste pas moins exceptionnel. A tel point que le Gouvernement, s’est engagé à tripler la somme allouée au programme Coup de pouce pour le faire passer de 20 à 60 millions d’euros. Objectif : réparer un million de vélos d’ici à la fin de l’année, mais aussi financer des places de stationnement vélo temporaires ainsi que des formations de remise en selle.
Une volonté de pérenniser les coronapistes
Aux yeux de beaucoup, elles resteront l’un des symboles de la crise du Covid-19 et du virage sociétal amorcé au profit du vélo. A grand renfort de plans d’urgence et d’urbanisme tactique, les emblématiques coronapistes ont fleuri partout en France avec le déconfinement. Si certaines auront connu une existence éphémère comme l’aménagement de l’avenue Gabriel-Péri à Argenteuil (95) ou celle très symbolique du Prado, à Marseille (13), la majeure partie de ce réseau champignon semble pouvoir prétendre à une destinée plus durable. Provisoires initialement, puis de transition, bon nombre de coronapistes pourraient se transformer en itinéraires cyclables définitifs. C’est en tout cas la volonté d’Elisabeth Borne qui invite les élus à pérenniser les aménagements temporaires. « Nous espérons en déployer 1 000 kilomètres au total. Ne laissez pas la voiture reprendre la place ! », insistait la ministre de la Transition écologique et solidaire, fin mai, en promettant d’accompagner les collectivités engagées dans cette démarche.
Pour l’heure environ 500 kilomètres de pistes seraient opérationnels. Les associations cyclistes restent particulièrement vigilantes au devenir de ces infrastructures. La Fédération des Usagers de la Bicyclettes (FUB) a ainsi mis à jour son application Carto pour que les aménagements de transition y soient recensés. Le club des villes et territoires cyclable a, quant à lui, lancé une enquête auprès des collectivités pour suivre l’évolution de cette dynamique.
Le forfait mobilité durable, un outil pro-vélo pour les entreprises
L’Etat a également fait un geste en direction du monde de l’entreprise en publiant en avance le décret relatif au forfait mobilité durable, initialement prévu pour juillet. Depuis le 10 mai, ce dispositif phare de la loi d’orientation sur les mobilités (LOM) permet aux sociétés de prendre en charge les frais de déplacements domicile-travail de leurs collaborateurs se déplaçant à vélo (entre autres) dans la limite de 400 € annuels. Une somme exonérée de cotisations sociales et d’impôt sur le revenu deux fois supérieure au montant de l’indemnité kilométrique vélo (IKV) qui disparaît donc au profit de ce nouvel outil d’incitation fiscale. De quoi permettre aux entreprises de jouer un rôle dans le développement d’un système vélo global. Leur implication restera, toutefois, dépendante de leur bon vouloir, car, comme l’IKV, le forfait mobilité durable ne revêt pas de caractère obligatoire. Pour les inciter à passer à l’action, la FUB, en partenariat avec l’Ademe, travaille à la création d’un label qui récompensera les employeurs engagés dans une démarche pro-vélo.
Une fête nationale dédiée au vélo
Pour asseoir cette culture vélo émergente, le Gouvernement, en lien étroit avec le monde associatif, organisera dès l’année prochaine une fête nationale dédiée à la bicyclette. Son nom : « Mai à vélo ». L’occasion de fédérer les événements déjà existants à cette période, de créer de nouvelles manifestations dans les territoires où elles font défaut, de réunir les acteurs de la branche, mais surtout de donner envie à toutes les générations de monter en selle pour faire du sport, pour voyager ou pour se déplacer au quotidien.
Au regard de ces évolutions, l’ambitieux Plan vélo qui vise à tripler la part modale du vélo pour la faire passer de 3 à 9 % d’ici à 2024 paraît plus que jamais réaliste. A condition que l’écosystème né du déconfinement, prometteur mais encore fragile, soit entretenu par le maintien des synergies actuelles une fois la crise définitivement derrière nous.