Pour tenter de comprendre le phénomène, on est remonté, précédemment, aux origines du bikepacking. Essayons désormais de définir avec plus de précision la pratique. Nous avons interrogé plusieurs pratiquants assidus, qui nous livrent un regard croisé sur la pratique.
Bikepacking ou cyclotourisme pratiqué sur chemin
On a demandé à Dan Meyer de l’association américaine Adventure Cycling de se livrer à l’exercice.« Nous (et l’industrie du vélo en général) définissons le bikepacking comme du cyclotourisme pratiqué sur chemin ou sentier, avec un équipement minimal…, mais pas nécessairement. Il y a tellement de « crossover » maintenant ! Les gens empruntent la TransAm (NDLR : traversée d’ouest en est des Etats-Unis sur routes goudronnées) avec des configurations type « bikepacking » et font la Great Divide (NDLR : itinéraire tout-terrain) avec des sacoches traditionnelles. Si le bikepacking avait une définition rigide à un moment donné, elle s’est pratiquement évaporée maintenant. »
Voilà donc pourquoi les tentatives de donner un sens au mot bikepacking se heurtent à tant d’obstacles et alimentent des débats sans fin auprès des passionnés. Il n’existe pas un mais plusieurs bikepackings ! D’aucuns diront autant, en fait, que de pratiquants.
Pour rendre compte de l’éventail des sensibilités actuelles on est parti à la rencontre d’aventuriers sur deux roues qui incarnent, chacun à leur manière, une facette de l’esprit bikepacking.
Mathias Riquier
Instagram : @mathiasriquier
Community manager chez Komoot
Vélos : Canyon (route) et Bombtrack (gravel montage perso)
Bagagerie : Apidura
Expériences du bikepacking : Born to Ride, Mad Jacques Vélo, Gravel To Breizh, Race Across France… Traces perso : Strasbourg-Milan, Montpellier-Arles-Marseille…
Comment es-tu venu au bikepacking ? Qu’est ce qui t’a séduit dans cette approche de l’itinérance ?
Après quelques voyages « avec des grosses sacoches », j’ai commencé à me tourner vers une pratique plus sportive. J’ai acquis un vélo de route et j’ai commencé à allonger les distances, tout en m’intéressant aux épreuves cyclistes. Quand j’ai commencé à découvrir ce qu’était le bikepacking via des blogs, des vidéos YouTube et des articles de magazine, j’y ai vu la combinaison de mon nouvel intérêt pour une pratique plus « sportive » et une approche plus minimale du voyage à vélo, qui permet d’aller plus vite, plus loin, en se passant du superflu.
Quelles différences existe-t-il, selon toi, entre cyclotourisme et bikepacking ?
Le cyclotourisme est la quintessence du voyage à vélo, c’est par cette porte que je conseillerais à quiconque de rentrer ! Elle permet de prendre du plaisir facilement, d’être plus « confort » en emportant davantage d’affaires, bref, de vivre une belle expérience au grand air. Le bikepacking relève davantage du défi, de l’exploration. Il permet d’atteindre des endroits inaccessibles en cyclotourisme ou de couvrir des distances plus grandes. On retrouve la même différence entre la rando « familiale » et le trekking minimaliste, où l’on emporte que l’essentiel.
Le bikepacking est-il, selon toi, indissociable d’un certain engagement physique, de la longue distance, bref est-ce une affaire de sportifs confirmés ?
Pas forcément. C’est vrai que c’est l’impression que ça a pu donner pendant longtemps, parce que la communauté bikepacking se distinguait du voyage à vélo classique par la réalisation de défis de dingues, pour marquer son identité, j’imagine. Mais de plus en plus de collectifs, de marques et de gens prônent aussi un bikepacking « à la cool », où l’essentiel est de prendre du plaisir, pas uniquement de traverser des régions entières en dormant 3 heures par nuit dans des abribus !
Avec quel matériel pratiques-tu le bikepacking ?
J’ai un panel de sacoches Apidura (cintre, selle, cadre), que je possède depuis des années et qui tiennent parfaitement le coup malgré ce que je leur fais subir. J’ai aussi une petite sacoche top tube Restrap pour ranger les snacks ! Ensuite, le grand jeu est d’emporter le minimum syndical : un sac de couchage Cumulus, un bivy (un sursac pour protéger de l’humidité) et un matelas archi compact pour le couchage, qui au total fait moins d’un kilo. Ensuite, deux tenues de vélo maxi, une tenue « civile » pour le soir, et je n’oublie pas, comme tout bon bikepacker qui se respecte, de casser le manche de ma brosse à dents pour gagner de la place et d’avoir une tasse en métal que j’accroche à ma sacoche pour un peu de style !
Sa définition du bikepacking
Pour moi bikepacking rime avec minimalisme et autonomie maximum. C’est la version cyclable du voyage ultra-léger. Au fond, qu’on ait la dernière gamme de sacs de bikepacking ou des solutions bricolées ne change pas grand-chose : l’idée est de renoncer au maximum au confort de la vie sédentaire pour vivre une expérience outdoor intense et, si le cœur et les jambes ont envie, de profiter de cette agilité pour aller voir encore plus loin.
Émeline et Olivier, les Rayon Mix Tour
Instagram : @rayonmixtour
rayonmixtour.jimdofree.com
Vélos : Ridgeback Panorama
Bagagerie : Ortlieb
Expériences du bikepacking : Asie du Sud-Est, île du Sud de la Nouvelle-Zélande, Australie, Chili, Argentine. Traversée des Pyrénées et Ouest de la France.
Au cours de votre tour du monde, vous avez évolué d’une configuration « classique » vers une solution bikepacking. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?
Nous sommes effectivement partis pour notre grand voyage avec une configuration assez « classique », c’est-à-dire sacoches avant et arrière. Nous avions la certitude de ne pas pouvoir faire plus léger plus compact. Nous avions l’essentiel pas plus !
Et puis au fil des kilomètres, nous nous sommes départis d’un certain confort. Ce qui nous semblait indispensable, au début, a cessé de l’être. Nous nous sommes aussi rendu compte que moins de poids signifiait plus de facilité et donc plus de liberté. Au bout de 3 mois, nous avons fait l’exercice de mettre de côté tout ce dont nous ne nous étions pas servis… et avons renvoyé ce surplus. Nous avons renouvelé cet exercice à chaque fois que des proches venaient nous voir. Séduits par l’idée de continuer plus légers, on a réfléchi à comment transformer notre configuration.
Et puis, c’est un argument complétement subjectif, mais on aime bien le côté esthétique de la solution bikepacking, l’harmonie sacoches/vélo.
Avec le recul, quelles différences avez-vous noté entre les deux approches ? Le bikepacking a-t-il changé votre rapport au voyage à vélo ?
En ayant moins de poids et des bagages plus proches du cadre, nous nous sentons plus libres de nos mouvements. En mode « léger », on passe mieux partout. Mais pour nous, le voyage à vélo n’est pas synonyme de performance, ni de compétition. On recherche avant tout le dépaysement et le confort. Le bikepacking facilite notre quotidien sur la route, accroit notre liberté, mais il ne modifie en rien notre façon d’appréhender l’itinérance. Nous conservons le même état d’esprit qu’avec des sacoches classiques.
Leur définition du bikepacking
Essayer de faire le plus minimaliste possible, en gardant un minimum de confort et d’autonomie. Adopter des sacoches proches du cadre pour plus de liberté de mouvement avec le vélo.
Yann et Matthieu, Les Rookies
Instagram : @lesrookies
lesrookies.com
Vélos : vélos gravel Cycles Khelys
Bagagerie : Tangente Atelier
Expériences du bikepacking : traces perso => Paris-Dieppe, Amsterdam-Berlin, Paris-Montréal (en France, pas au Canada !) et Lille-Paris en passant par la Belgique. A venir : Bergen-Oslo.
Vous avez fait du statut de « débutant » votre marque de fabrique. La pratique du bikepacking n’implique-t-elle pas, pourtant, de disposer d’une solide expérience du voyage à vélo ?
Absolument pas ! Sortir de chez soi, prendre son vélo et décider de partir à l’aventure ne doit pas être vécu comme une appréhension, mais plus être quelque chose de motivant. On part du principe que nos parents, nos grands-parents, partaient sur les routes avec des vélos qui aujourd’hui feraient peur à tout le monde. Et pourtant l’aventure était là, le plaisir et les souvenirs aussi !
Le bikepacking, c’est simplement se dire que notre vélo peut nous pousser à vivre des choses incroyables avec une certaine liberté. Je m’arrête où je veux, je dors où je veux/peux. Le paradis !
Après, il est vrai que la destination ou l’itinéraire peut impliquer son lot de prérequis. Si vous décidez de faire du bikepacking dans les pays du Nord ou dans l’Atlas, vous n’aurez absolument pas les mêmes besoins matériels mais ça… tout le monde s’en doute.
Qu’est-ce qui vous a séduit dans l’approche bikepacking ? Pour quelles raisons avoir opté pour cette solution plutôt que pour une approche plus « traditionnelle » de l’itinérance ?
Le bikepacking s’est vraiment développé ces dernières années avec d’intéressantes innovations matérielles et technologiques. Le tout accompagné de l’essor du gravel qui a permis de vraiment aboutir sur ce sentiment ultime de liberté de pouvoir partir où on veut, quand on veut, avec le minimum d’affaires que chacun jugera utile d’emporter ! On aime que le bikepacking permettent une intégration vraiment organique sur le vélo, faisant un tout compact, agréable, mais surtout modulable qui permet vraiment de s’éclater que ça soit sur une petite sortie dominicale, une aventure de quelques jours, ou un voyage de plusieurs semaines ! Bref, la liberté !
D’ailleurs quelles différences faites-vous entre bikepacking et voyage à vélo « classique” ?
Selon, nous, il n’y en a pas vraiment dans le fond ! Les deux pratiques répondent à la même soif de découverte, de liberté et d’aventure ! S’il fallait vraiment trouver une différence, nous dirions que le bikepacking aura peut-être tendance à se focaliser un peu plus sur l’essentiel, puisqu’il est plus limité en termes de capacité de transport. Tandis que le cyclotourisme plus « classique » aura peut-être une vision plus axée sur le confort et sur l’autonomie de longue durée, puisqu’il offre une plus grande capacité de chargement !
Mais c’est précisément ce qui fait la beauté du vélo : peu importe vos besoins, vos envies ou vos ambitions, vous trouverez forcément une solution qui vous correspond !
Leur définition du bikepacking
Le bikepacking, c’est partir à l’aventure avec son vélo et le minimum de matériel pour des déplacements plus rapides.
Jeanne Lepoix
Instagram : @jeannelepoix
www.facebook.com/laminipassagere
Vélo : Origine Graxx
Bagagerie : Miss Grape
Expériences du bikepacking : Turin-Nice version gravel, Cuba hors des sentiers battus, French Divide, Born To Ride…
Tu as découvert le bikepacking par l’intermédiaire d’épreuves longue distance comme la Born to Ride ou la French Divide. Est-ce que pour toi bikepacking et compétition sont indissociables ?
Pour moi, il existe plusieurs approches. L’aspect compétition qui implique engagement physique et dépassement de soi en est une. Mais on peut tout à fait pratiquer le bikepacking en mode tourisme et s’arrêter régulièrement pour faire de la photo ou se rafraîchir en terrasse. Prendre le temps, c’est possible en bikepacking !
Considères-tu que les notions de bikepacking et cyclotourisme sont synonymes ?
S’il existe une différence, c’est sans doute dans le rapport au matériel. En cyclotourisme, on n’hésitera pas à se charger pour le confort. On peut embarquer des chaises pliables pour le soir ou rajouter un vestibule à la tente. En bikepacking, la priorité va à la légèreté. On optimise son équipement en renonçant à la tente au profit du bivy. On part avec un seul cuissard… Cette approche permet d’élargir les possibilités d’itinéraires. On peut rouler sur des chemins techniques là où de grosses sacoches nous auraient imposer de pousser.
Cela dit, pour moi, les notions de touring et de bikepacking se confondent de plus en plus. A mes yeux, le bikepacking est devenu un terme générique pour désigner l’itinérance à vélo au sens large. Pas forcément besoin de voyager en mode ultralight ou de dormir à la belle étoile. Récemment, on est partis dans la Drôme avec des étapes en chambres d’hôtes. On transportait nos affaires dans des sacoches sur porte-bagages et, pour moi, c’était aussi du bikepacking.
Tu affectionnes particulièrement l’itinérance off road. Selon toi, peut-on parler de bikepacking quand on évolue sur la route ?
Dans mon esprit, le tout-terrain est davantage synonyme d’aventure. Les routes sont plus balisées, on a rarement des surprises comme en VTT ou en gravel où le hasard nous fait parfois découvrir des chemins qui ne sont pas sur la carte. Mais à partir du moment où l’on choisit de tailler la route avec ses affaires sur le vélo, l’approche reste la même. On peut très bien vivre une belle expérience de bikepacking sur le bitume.
Sa définition du bikepacking
Le bikepacking, c’est partir à vélo avec un minimum d’affaires sur plusieurs jours. Peu importe la configuration (on peut même partir avec un bébé dans une remorque), la façon de passer la nuit ou le type de terrain, c’est la volonté de s’évader qui prime.
Sandrine Fraissard
Instagram : @100drine_38
sfraissard.wixsite.com
Vélo : Wish One S.U.B, vélo gravel
Bagagerie : Apidura, puis Ortlieb
Expériences en bikepacking : ViaRhôna, Euro Velo 6, Grande Traversée du Vercors, Race Across France, Race Around Rwanda. Trace perso : Orange-Grenoble. A venir : Transcontinental Race (TCR).
C’est en quelque sorte le vélotaf qui t’a menée au bikepacking. Peux-tu nous raconter ton cheminement ?
J’ai toujours fait du vélotaf, mais je me suis mise plus sérieusement à rouler quand je me suis blessée au genou, en 2015. Je me suis acheté un beau Fahrradmanufaktur. Comme mon trajet quotidien passait par la ViaRhôna, j’ai fini par me demander « il y a quoi après, il y a quoi avant ? » Ma première expérience en voyage à vélo s’est donc faite juste à côté de la maison. Un jour, je me suis décidée à pousser un peu plus loin mes investigations sur la ViaRhôna. Depuis Lyon, j’ai tenté de rallier Genève en deux jours. Mais la pluie a eu raison de ma motivation et j’ai rebroussé chemin à Seyssel.
Ensuite, j’ai fait la grande traversée du Vercors avec des copines à VTT, sur 4 jours. J’ai investi dans une sacoche de selle puisque mon vélo n’était pas équipé de porte-bagage. On n’était pas en autonomie complète, on avait réservé un hébergement pour chaque soir. Mais on trimballait quand même un minimum d’affaires. C’était ma toute première approche du bikepacking.
Sur ma lancée, je suis partie sur l’EuroVélo 6, de Nantes à Budapest, en solo, sur 27 jours. J’avais des sacoches latérales et, comme tout le monde, beaucoup trop d’affaires ! Je me suis allégée en cours de route.
Bikepacking et cyclotourisme, selon toi, sont donc deux pratiques très proches ?
Pour moi, ce n’est qu’une question de vocabulaire. Toutes les approches de l’itinérances à vélo partagent les mêmes racines. Que tu t’engages sur une EuroVélo ou sur la Race Across France, tu dois t’interroger sur ton rapport au matériel et optimiser au mieux tes sacoches. Ensuite, c’est juste une histoire d’ajustement des curseurs. Plus ou moins de confort, plus ou moins d’engagement physique, plus ou moins de distance à parcourir… Mais derrière, il y a toujours l’idée de rechercher l’autonomie, de miser sur la débrouille et, plus encore, de profiter des plaisirs de la route.
Avec quel vélo pratiques-tu le bikepacking ?
Je roule avec un gravel de la marque Wish One. Plus léger et plus sportif qu’un vélo de voyage, le gravel permet d’être à l’aise et efficace sur tous les terrains. En cela, il rejoint tout à fait l’esprit bikepacking qui consiste à rouler longtemps et rouler partout.
Sa définition du bikepacking
C’est un voyage à vélo avec toutes ses affaires qui implique de passer au moins une nuit hors de chez soi.